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Aux origines de la Grande Catastrophe, par Olivier Delorme

Olivier Delorme est agrégé d’histoire, maître de conférences à Sciences po Paris (2001-2008). Auteur de La Guerre de 14 commence à Sarajevo (Hatier, 2014) et coauteur de Les Grecs contre l’austérité, Il était une fois la crise de la dette (Le Temps des cerises, 2015), il a publié en 2013, dans la collection Folio Histoire (Gallimard), les trois tomes de La Grèce et les Balkans, du Ve siècle à nos jours, qui font autorité aujourd’hui sur l’histoire de la région. Infos & contact: http://olivier-delorme.com.

Dans le n°21/2005 de Desmos/Le Lien a paru cet article consacré à la "grande Catastrophe" de 1922 qui a marqué un moment décisif dans l'histoire de la Grèce moderne.


Formidable puissance qui, à son apogée, s’étend de l’Arabie à la Hongrie et des frontières de la Perse à celles du Maroc, l’Empire ottoman a trouvé les limites de son expansion au XVIe siècle : en 1529, les armées de Soliman le Magnifique (1520-1566) campent sous les murs de Vienne mais ne réussissent pas à enlever la ville ; en 1565, sa flotte échoue à déloger de Malte les héritiers des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem qu’il avait chassés de Rhodes en 1522 ; puis en 1571, à Lépante (l’actuelle Naupacte, sur la rive nord-ouest du golfe de Corinthe), la marine de guerre ottomane est détruite par une coalition qui regroupe, sous le commandement de don Juan d’Autriche, l’Espagne (Cervantès y perd un bras), la Sérénissime République de Venise et le Saint-Siège.

Le sultan arrachera encore Chypre (en 1571) puis la Crète (en 1669) aux Vénitiens. L’étendard au Croissant flottera encore une fois, en 1683, devant la capitale des Habsbourgs, mais Vienne ne tombera pas davantage lors de ce second siège. L’élan conquérant est brisé et l’Empire ottoman s’assoupit dans un long immobilisme ponctué par les intrigues de sérail où de toutes-puissantes sultanes font étrangler les grands vizirs qui prétendent gouverner, par les caprices sanglants des janissaires (ces soldats d’élite élevés dans l’Islam et le culte des armes après avoir été enlevés, enfants, au titre de l’impôt du sang, à des familles chrétiennes), par les révoltes de provinces que mettent en coupe réglée des gouverneurs qui ont dû payer cher pour obtenir leur charge et s’empressent ensuite de se rembourser sur le pays. Durant des lustres, l’économie languit, alors que celle de l’Europe occidentale prend son essor, alors que les maîtres turcs abandonnent aux Grecs, aux Arméniens, aux Juifs et aux Levantins le soin de commercer, de fréquenter Marseille, Londres ou Odessa, d’accumuler le capital et de jouer avec les idées qui bouillonnent en Occident.

Aussi le XIXe siècle sonne-t-il un douloureux réveil pour les fils d’Osman (1259-1326, le premier chef de la tribu turque des Osmanlis à prendre le titre de sultan, il est le fondateur de la dynastie ottomane). Convoité par la puissance russe dont le but stratégique est de faire sauter le verrou des Détroits (Bosphore et Dardanelles) afin d’accéder aux mers libres de glace, le vieil empire, encore impressionnant par son étendue, se rend compte qu’il n’a plus les moyens de se défendre contre des impérialismes européens résolus à profiter de leur écrasante supériorité économique, technologique, militaire : la France s’empare de l’Algérie en 1830 avant d’imposer son protectorat à la Tunisie en 1881 ; le Royaume-Uni occupe Chypre en 1878 contre la promesse d’aider le sultan en cas de guerre russo-turque ; l’Autriche proclame son protectorat sur la Bosnie et l’Herzégovine (1878) en attendant de les annexer en 1908. Jusqu’à l’Italie qui, en mal d’empire colonial, se jette sur la Libye puis sur le Dodécanèse en 1911-12.


Dans le sillage des révolutions françaises de 1789, 1830 et 1848, l’Empire est par ailleurs confronté aux mouvements centripètes que génère la diffusion des idées nationales et libérales, c’est-à-dire, pour faire vite, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’aspiration à remplacer la souveraineté d’un monarque absolu de droit divin – le sultan est aussi calife (commandeur des croyants) –, par celle du peuple que représente une assemblée élue.

Les révolutions serbes (1807, 1815) et grecque (1821) donnent le signal aux peuples de la partie européenne de l’Empire qui obtiennent, les uns après les autres, leur autonomie et/ou leur indépendance avec l’aide et sous le contrôle plus ou moins étroit de la France, de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Russie (laquelle légitime ainsi ses ambitions stratégiques par sa « vocation » à protéger les Slaves et les chrétiens orthodoxes que domine un pouvoir turc et musulman) : l’indépendance grecque est reconnue en 1830 ; celle de la Serbie, autonome à partir de 1830, en 1878, comme le Monténégro que la tutelle ottomane n’a jamais vraiment assujetti ; la Moldavie-Valachie, autonome en 1830, prend le nom de Roumanie en 1862 et accède elle aussi à l’indépendance pleine et entière en 1878 ; la Bulgarie, autonome en 1878, s’unit à la Roumélie orientale en 1883 et proclame son indépendance en 1908 ; l’Albanie, enfin, devient un État au terme des guerres balkaniques de 1912-13.

Tandis que la Palestine, la Syrie et le Liban sont travaillés par l’éveil du nationalisme arabe et l’Arabie par l’intégrisme wahhabite. Tandis que Mehemet Ali, un Turco-Albanais dépêché par le sultan pour combattre les Français de Bonaparte, s’implante en Égypte, s’y fait reconnaître vice-roi, puis souverain héréditaire, et lance une audacieuse politique de modernisation. Tandis que Ferdinand de Lesseps creuse le canal de Suez (1858-1869), avant que les Anglais ne s’assurent du contrôle (1875) de cette voie stratégique capitale vers leur empire des Indes… prélude à l’occupation de toute l’Égypte (1882) et à sa transformation en protectorat (1914).



L’Homme malade de l’Europe et la Question d’Orient


De cette conjonction de problématiques, d’appétits et d’incertitudes émerge ce qu’on appelle dès lors la Question d’Orient, qui occupera une bonne partie de l’activité des chancelleries jusqu’en 1914 et dont il serait impossible de retracer ici tous les développements – guerres, traités ou retournements d’alliance.

Contentons-nous de rappeler que l’Empire, qui fut un des acteurs majeurs du jeu diplomatique mondial depuis 1453, sera désormais considéré par les Européens, selon les termes d’une lettre du tsar en 1833, comme un « homme très malade » dont on se dispute les dépouilles et le soin de lui faire avaler des potions. Les élites turques en conçoivent une humiliation telle qu’elle les conduit à rechercher les moyens qui permettraient à l’Empire de retrouver les chemins de la puissance.

Aussi cette situation et ces réflexions engendrent-elles un rapport complexe, ambigu, contradictoire de l’Empire ottoman finissant comme de la République turque naissante avec l’Europe – un rapport d’attraction et de rejet à la fois, une fascination mêlée de répulsion.

Car, contrairement à ce qui se répète partout sans examen (c’est le propre des truismes), la République kemaliste n’a pas innové en entreprenant d’adapter la société turque à certaines mœurs et coutumes européennes, symboles (et conditions ?) d’une modernité à laquelle elle aspire, non par « désir d’Europe » ou par adhésion à ses valeurs, mais par conviction de la nécessité pour les Turcs, s’ils veulent pouvoir à nouveau rivaliser avec l’Europe, de se dégager des archaïsmes qui ont paralysé le vieil Empire et l’ont empêché de s’adapter aux temps nouveaux. Ainsi, par exemple, presque un siècle avant que Kemal (1925) ne fasse pendre ceux de ses concitoyens qui rechignaient trop à abandonner le fez pour le chapeau (et bombarder la ville de Rize qui se refusait massivement à cette innovation), le sultan Abdül-Medjid Ier (1839-1861) adoptait le costume européen en même temps qu’il décrétait ouverte l’ère des réformes, le tandzimat.

D’ailleurs, si les élites ottomanes puis kemalistes ont cherché constamment depuis le XIXe siècle à européaniser la société, celle-ci n’a cessé, tout aussi constamment, dans ses profondeurs, de résister à une modernisation-européanisation toujours perçue pour ce qu’elle était, c’est-à-dire décrétée et imposée par le pouvoir, non comme une expression de la volonté générale mais comme une agression contre les mœurs et systèmes de représentation traditionnels. Ce qu’ont traduit aussi bien les résistances à appliquer le tandzimat dans les provinces, que les révoltes populaires (toujours réprimées, jamais entendues) au temps de la dictature de Kemal, ou bien encore les élections, après 1948, chaque fois qu’elles se sont déroulées dans un climat de relative liberté et sincérité (c’est-à-dire moins d’une demi-douzaine de fois).



Un Homme malade bien difficile à soigner


La question de la réforme est donc au centre de l’histoire ottomane, et n’a cessé de se poser aux responsables de l’Empire (comme au pouvoir turc de Kemal à nos jours) avec un brin de schizophrénie : il faut se réformer sur le modèle européen afin de s’opposer et/ou de s’imposer aux Européens… Ceci alors même que l’élite ottomane est loin d’être exclusivement turque : on a dit le rôle que jouaient Grecs, Juifs et Arméniens dans l’économie ; ajoutons que les chrétiens abondaient dans les professions intellectuelles ou de santé, qu’ils fournissaient nombre de cadres à la bureaucratie centrale et à la diplomatie.

Le premier des réformateurs se nomme Selim III (1789-1807) mais, défait par les Russes et les Autrichiens, menacé par la révolte de la Syrie et par les wahhabites d’Arabie, il est finalement éliminé par les janissaires qui refusent sa réforme de l’armée et qui, depuis le XVIIe siècle, ont pris la fâcheuse habitude de dicter leurs quatre volontés aux sultans, de trancher la tête de ceux qui refusent de plier. Notons, ici encore, que les parallèles ne sont pas inexistants avec la position de l’armée dans la République turque depuis 1923 qui, sous prétexte de défense de l’orthodoxie kemaliste et pour pérenniser ses privilèges, exerce, réforme cosmétique des institutions ou pas, une tutelle permanente sur le pouvoir civil.

Mahmoud II (1808-1839) trouvera la solution à l’épineux problème des janissaires : il en fait massacrer entre cinq et dix mille. Mais c’est son successeur, Abdül-Medjid Ier (1839-1861), qui engage vraiment les réformes. L’État est organisé sur le modèle européen (départements ministériels, Conseil d’État, Cour suprême de justice), le service militaire (par tirage au sort) universel institué, les codes civil et pénal français acclimatés, la liberté de la presse proclamée. Mais le hatt-i sherif (édit auguste) de Gül-Hané (3 novembre 1839) introduit une autre innovation : le principe d’une égalité des sujets du Padischah devant la loi comme devant l’impôt.

Jusque-là, chaque sujet ottoman non turc était considéré en fonction de sa religion, son millet ou communauté habilitée à gérer certaines de ses affaires selon ses coutumes, sous la responsabilité de son chef religieux (patriarche grec pour l’ensemble des orthodoxes jusqu’à la création de l’exarchat bulgare en 1870, patriarches arménien(s) et assyro-chaldéen, grand rabbin d’Istanbul…). Pour le meilleur et pour le pire ainsi qu’en fera l’expérience le patriarche Grégoire V, tenu pour responsable de la révolte des Grecs en mars 1821 et pendu, pour Pâques, à la porte de son église du Phanar – pendant qu’on coupe à tour de bras les oreilles des Grecs d’Istanbul et que les diplomates occidentaux voient, avec horreur, des enfants turcs jouer à la balle avec des têtes tranchées… en attendant les massacres de Chios ou de Kassos qui provoque une vague d’indignation en Europe.

L’Empire ottoman n’a rien, comme on a trop tendance à le suggérer aujourd’hui, d’un havre de tolérance idyllique. Certes, les Juifs chassés d’Espagne par la Reconquista catholique ont trouvé refuge à Salonique, et la Porte1 n’a jamais persécuté ses sujets à raison de leur religion. Mais le millet est un système qui perpétue le droit du plus fort établi par la conquête, institutionnalise l’inégalité des sujets non turcs, devant la justice, devant la propriété comme devant l’impôt, s’accompagne d’humiliations quotidiennes de toute sorte, interdit les cloches ou les processions, confisque nombre d’églises transformées en mosquées et ossifie, à l’intérieur de chaque communauté, la domination des notables qui sont à la fois percepteurs, relais du pouvoir ottoman, et exploiteurs pour leur propre compte d’un peuple taillable à merci. Ce système est donc des plus avantageux pour le sultan, qui rechigne d’autant moins à déposer les patriarches que chaque nouvel élu est tenu d’offrir un « cadeau » sonnant et trébuchant au Padischah. Aussi l’histoire de l’Empire est-elle émaillée de spoliations, de révoltes fiscales, de popes pendus parce que leurs ouailles ont manqué à leurs obligations envers le pouvoir d’Istanbul ou tel de ses représentants particulièrement avide, de massacres d’Arméniens, de Grecs, de Serbes, de Bulgares…

Au demeurant, et pour révolutionnaire qu’il soit, le tandzimat reste en partie théorique et stambouliote, ne parvenant guère à pénétrer les profondeurs de l’Empire. Même le principe de l’égalité fiscale est tourné par des impositions exceptionnelles frappant davantage les chrétiens. Il trace néanmoins la voie de ce que pourrait être un ottomanisme rénové : un Empire vraiment multinational dans lequel le sultan reconnaîtrait à tous ses sujets les mêmes droits, en exigerait les mêmes devoirs, tout en garantissant à chacun d’eux le respect de ses particularismes religieux, culturel, linguistique.

Ce projet-là est développé par ceux qui pensent que si les réformes de l’État, du droit, de la fiscalité sont nécessaires, elles ne s’accompliront que dans leur dépassement par une véritable réforme politique. C’est-à-dire la transformation du vieux despotisme – fût-il éclairé – en une monarchie constitutionnelle dotée d’une assemblée représentative.



Une éphémère expérience démocratique


Ce projet-là est celui des jeunes-ottomans qui proposent une audacieuse synthèse entre l’Islam et les valeurs de la démocratie européenne – alors que le kemalisme ne visera jamais qu’à acquérir les moyens de puissance européens tout en exerçant le pouvoir sur un mode despotique. Cette synthèse s’appuie sur l’activité des loges maçonniques et recueille une large adhésion dans les minorités de l’Empire qui, toutes ensemble, sont plus nombreuses que les Turcs. Pour les Grecs, les Arméniens, les Arabes, cette solution permettrait d’envisager l’avenir à l’intérieur d’un Empire rénové (et d’une certaine hellénisé !). Mais est-elle acceptable pour les Turcs ?

Une révolte fiscale dans les Balkans (1875) sert de catalyseur : la répression sauvage (entre 12 000 et 20 000 morts) des bachi-bouzouks, ces irréguliers toujours prêts au pire, soulève l’émoi des Européens. Le sultan Abdül-Aziz est déposé (mai 1876), assassiné et remplacé par Murad V puis par son frère, Abdül-Hamid II. L’artisan du coup d’État est Midhat pacha, le chef des jeunes-ottomans. Devenu grand vizir, il met en chantier une Constitution, rédigée par une commission où siègent musulmans et chrétiens. Cette Constitution, proche de celle du royaume de Belgique, est promulguée le 23 décembre 1876 et prévoit l’élection, au suffrage indirect, d’une chambre des députés qui, à côté d’un Sénat nommé, formera le premier Parlement ottoman.

Mais entre-temps, la Serbie et le Monténégro ont cru pouvoir tirer parti de la faiblesse de la Porte : la guerre tourne mal pour les Serbes, les Européens exigent cependant de nouvelles concessions du sultan. Abdül-Hamid renvoie Midhat qui n’a pas su calmer leurs ardeurs, mais le Parlement est tout de même élu et se réunit le 19 mars 1877 : on y parle seize langues, on y pratique onze religions et quarante-huit des cent quinze députés ne sont pas musulmans.

Cependant, le 24 avril, c’est au tour de la Russie de passer à l’offensive, bientôt rejointe dans la guerre par les Serbes et les Grecs : en janvier 1878, les troupes du tsar parviennent jusqu’aux faubourgs d’Istanbul, à San Stefano où la Porte doit accepter, le 3 mars, un traité si humiliant qu’il alarme l’Angleterre et l’Autriche. Bismarck propose ses bons offices et, à Berlin, les puissances occidentales modèrent les appétits de la Russie. Ce qui n’empêche pas l’Empire d’être réduit, en Europe, à une Macédoine que se disputent déjà Grecs et Bulgares.

Quant aux Franco-Anglais, s’ils ont pris la défense du sultan, c’est qu’ils y avaient intérêt. Seuls maîtres de la Banque ottomane, ils ont obtenu, après le privilège du placement des emprunts ottomans à l’étranger, que celle-ci se voit confier le soin d’émettre la monnaie de l’Empire et, depuis 1875, celui d’assainir ses finances, de gérer son budget et de payer ses fonctionnaires. Grâce à ce cheval de Troie, les Franco-Anglais s’assureront aussi du contrôle des charbonnages d’Héraclée, du chemin de fer Beyrouth-Damas-Alep, du port de Beyrouth, des monopoles du sel et du tabac…

Étouffante amitié, à laquelle Abdül-Hamid cherche un contrepoids… il en trouve une autre qui ne le sera pas moins : en 1883, la réforme de l’armée est confiée aux Allemands ; puis Guillaume II, qui développe sa Weltpolitik, se rend à Istanbul et Jérusalem (1898), avant d’obtenir la concession du chemin de fer de Bagdad.



Du panislamisme au panturquisme : quelle place pour les chrétiens ?


Les conséquences de la guerre russo-turque de 1877-78 sont donc considérables pour la position internationale de la Porte ; les dommages collatéraux sur son évolution interne ne le sont pas moins : l’expérience parlementaire est désormais associée au pire désastre jamais subi par l’Empire. Le parlementarisme ne s’en relèvera pas : le sultan suspend la Constitution dès février 1878 ; il fera assassiner Midhat en 1884. Abdül-Hamid, qui acquerra bientôt le surnom de Sanglant, poursuit certes l’effort de modernisation de l’administration, de la justice, de l’armée ou de l’éducation. Mais son régime s’appuie sur les milieux les plus réactionnaires, la bureaucratie, un réseau d’espions, un autoritarisme vétilleux qui exclut toute extension des réformes au champ politique, et sur un panislamisme qui postule la perpétuation de la domination des musulmans sur les chrétiens.

Du coup, les espoirs soulevés par l’ottomanisme rénové et parlementaire de Midhat pacha retombent, notamment chez ces chrétiens qui se voient de moins en moins d’avenir dans cet Empire-là. Un Empire où ils sont les principaux vecteurs économiques et culturels de l’européanisation-modernisation. En Arménie, le blocage enclenche un cycle effrayant de revendications ignorées, de révoltes et de massacres. Mais cette crispation islamo-hamidienne conduit aussi les Grecs, les Bulgares et même les Arabes (le panislamisme du sultan ne répond pas à leurs aspirations nationales) à réorienter leurs regards soit vers l’indépendance (Arméniens, Arabes) soit vers le rattachement à un État déjà constitué (Grecs d’Asie Mineure, Bulgares et Grecs de Macédoine et de Thrace), alimentant ainsi méfiance mutuelle et soupçons de trahison.

Dans le régime hamidien, l’opposition est contrainte à la clandestinité ou à l’exil. À l’intérieur, les Grecs et les Arméniens restent, pour l’essentiel, les seuls vrais défenseurs de l’ottomanisme. Quant aux Turcs libéraux, ils ont pris le chemin de Paris : c’est là que va se jouer l’acte suivant de la tragédie, puisque les démocrates sont bientôt supplantés, marginalisés par un nouveau courant, celui des jeunes-turcs. À leur sujet, comme à celui de Kemal plus tard, les Européens s’illusionneront longtemps, voulant voir en eux des défenseurs des valeurs européennes, alors qu’ils sont seulement partisans d’une modernisation autoritaire.

C’est dans l’armée, et à cause de son profond sentiment d’humiliation, que vont se répandre les idées de ces jeunes-turcs qui s’organisent dans un Comité Union et Progrès (CUP). Pour ces unionistes, ainsi qu’on les nomme également, la priorité consiste à stopper la désagrégation de l’Empire ; mais s’ils parlent ottomanisme, ils pensent turc, car, à leurs yeux, seuls les Turcs sont inconditionnellement fidèles à la Porte ; car, consciemment ou non, les autres peuples sont, pour eux, désormais, des traîtres en puissance.

Le mouvement de 1908 (auquel participe un certain Mustapha Kemal) part de l’armée et de Salonique. Il arrache bien à Abdül-Hamid le rétablissement de la Constitution, mais le pouvoir qui va se mettre en place progressivement ne puise pas son inspiration dans l’expérience libérale de Midhat. Les jeunes-turcs estiment, comme Kemal après 1923, que leur légitimité, fondée sur la défense des intérêts du peuple turc, les dispense d’en passer par un régime représentatif. Comme Kemal lorsqu’il fondera la République, ils estiment que l’État qu’ils ont la charge de redresser est d’abord celui des Turcs.

Une assemblée est néanmoins élue, au suffrage indirect : les Turcs sont minoritaires dans l’Empire (dix à douze millions pour six à huit millions d’Arabes, cinq à six de Slaves, trois à quatre de Roumains, autour de deux millions et demi d’Arméniens, autour de deux millions de Grecs, des Kurdes, des Albanais, des Assyro-Chaldéens, des Juifs…), mais ils restent majoritaires au Parlement (147 députés sur 288). Quant à la tentative de contre-révolution, en avril 1909, elle permet au CUP d’éliminer Abdül-Hamid, de le remplacer par un sultan fantoche, d’accéder pour de bon au pouvoir et de marginaliser progressivement ce Parlement où les minorités prétendent ne pas ratifier automatiquement les décisions des jeunes-turcs.

Désormais, et les guerres des années 1911-1913 ne feront que renforcer cette évolution, le CUP va suivre deux voies : établir sa dictature – sous prétexte d’efficacité –, imposer aux minorités un choix entre l’exil, la mort ou l’assimilation forcée – c’est-à-dire proclamer, dans un Empire multinational, le principe jacobin de « nation » une et indivisible. Projet que reprendra Kemal et qu’il imposera, avant 1923 par le massacre ou l’exil forcé des chrétiens d’Anatolie, puis par la répression brutale de tout particularisme kurde, assimilé (c’est encore le cas, pour l’essentiel, aujourd’hui dans la République turque) à une entreprise séparatiste.

Pourtant, ce régime qui se durcit sous prétexte d’efficacité est incapable d’empêcher l’Italie, en 1911, de mettre la main sur la Libye puis sur le Dodécanèse. L’opposition démocratique, massivement soutenue par les minorités chrétiennes, monte en puissance, le CUP dissout le Parlement et organise les élections dites du « gros bâton » : on voit de quoi il s’agit ; elles donnent aux unionistes une majorité écrasante. Désormais, le parlementarisme ne sera plus qu’une façade.

La guerre balkanique qui suit, en 1912, réunit contre la Porte, la Serbie, le Monténégro, la Bulgarie et la Grèce. Cette fois, c’est la fin de la Turquie d’Europe : l’Albanie, l’Épire, la Macédoine, la Thrace jusqu’aux faubourgs de Constantinople, les îles de l’est égéen sont perdues. Quant à la seconde guerre balkanique, qui oppose des Bulgares mécontents du règlement territorial, aux Serbes, Grecs et Roumains, si elle permet à la Porte d’attaquer la Bulgarie et de récupérer la Thrace orientale, elle n’apporte aux jeunes-turcs qu’une bouffée de popularité quelque peu illusoire.

Tandis que les répercussions intérieures, elles, sont considérables : trois hommes du CUP ont renversé par la force, en janvier 1913, le Gouvernement dont les libéraux avaient, dans le désarroi, réussi à saisir fugacement les rênes. Enver pacha s’installe au ministère de la Guerre où il sera l’artisan de l’alliance avec l’Allemagne, Talaat pacha prend le contrôle de l’appareil de sécurité au ministère de l’Intérieur, et Djemal pacha fait régner son ordre sur Constantinople. La dictature est établie : parti unique, procès politiques, état de siège, exécutions, censure…

Mais la confiance des minorités est morte, victime du carnage des guerres balkaniques, répétition générale et banc d’essai des armements de la grande boucherie de 1914-1918 : mobilisés, Grecs et Arméniens se sont retrouvés en première ligne où ils ont servi de chair à canon.

Et puis, en Macédoine comme en Thrace, la guerre a cruellement pris pour cible les populations civiles : pour les Ottomans, il s’est agi d’en éliminer Grecs et Slaves ; pour les Grecs d’en chasser Slaves et Turcs ; pour les Bulgares d’en expulser Turcs et Grecs… Massacres, viols, destructions, conversions forcées, des centaines de milliers de réfugiés se sont retrouvés sur les chemins et les chrétiens de l’Empire sont devenus, aux yeux des unionistes, des ennemis de l’intérieur qu’il convient au mieux de tenir à l’œil. Au pire d’éliminer.



Exemplarité du génocide arménien


Le triumvirat n’est pas uni dans la politique à suivre lors du déclenchement de la Première Guerre Mondiale : Djemal est proche des Anglais qui ne souhaitent pas un nouveau conflit russo-ottoman dans lequel le tsar, un allié dont ils se méfient, pourrait obtenir un avantage dans les Détroits que Londres ne souhaite pas le voir acquérir. Mais Enver est farouchement pro-allemand. Persuadé que la guerre sera courte, à l’heure des victoires austro-prussiennes sur le front russe et de la percée allemande en direction de Paris que n’ont pas encore stoppée les taxis de la Marne, il a la conviction que la chance de revanche pour l’Empire est de se ranger au plus vite du côté des futurs vainqueurs.

Le 11 août 1914, il ouvre les Détroits aux croiseurs « Goeben » et « Breslau », fleurons de la Kriegsmarine poursuivis par la Royal Navy. Puis les deux bâtiments passent sous pavillon ottoman et s’en vont bombarder Sébastopol : du 2 au 5 novembre, la Russie puis ses alliés français et britannique entrent en guerre contre l’Empire ottoman.

Cette décision est lourde de sens pour les populations chrétiennes de l’Empire. Déjà massacrés sous Abdül-Hamid et, à plusieurs reprises, par les unionistes, les Arméniens seront les victimes d’un génocide méthodiquement organisé par Talaat : le 24 avril 1915, l’arrestation de six cents notables arméniens d’Istanbul donne le signal de l’hécatombe. Soupçonnés de vouloir livrer le nord-est de l’Anatolie aux Russes, les Arméniens ont deux jours pour quitter leur domicile et partir, à pied, en direction du désert syro-irakien. Les hommes valides sont assassinés à la sortie des villages ; les femmes, les enfants, les vieillards sont jetés sur les routes, battus, affamés, violés, soumis à des traitements atroces, à des tortures innommables, éliminés systématiquement si ce n’est par des moyens « industriels » qui n’existent pas encore.

Ces horreurs sont connues aussitôt ; Morgenthau, ambassadeur d’États-Unis non encore belligérants, en informe le Département d’État ; le 24 mai 1915, une déclaration des Gouvernements français, anglais et russe somme les Turcs d’arrêter le cours de ces « crimes contre l’humanité et la civilisation au titre desquels tous les membres du Gouvernement turc seront tenus responsables conjointement avec ses agents impliqués dans les massacres ». Sans résultat. D’Istanbul, Talaat télégraphie par exemple, le 29 septembre 1915, à la préfecture d’Alep que : « le Gouvernement a décidé d’exterminer entièrement les Arméniens qui habitent en Turquie sans égard pour les femmes, les enfants et les infirmes. Quelque tragiques que puissent être les moyens d’extermination, sans écouter les sentiments de la conscience, il faut mettre fin à leur existence. »

Car malgré une politique de destruction des preuves, des ordres secrets attestant sans conteste la volonté génocidaire viendront au jour après la guerre. La justice ottomane inscrira d’ailleurs la conception et l’organisation centralisées des massacres parmi les chefs d’inculpation qui serviront de base à la condamnation des chefs unionistes en 1919.

C’est donc avec Kemal, et avec lui seulement, que le négationnisme du génocide arménien devient la doctrine officielle de l’État turc. Ce qui n’est ni un hasard ni un fait contingent. En effet, si Kemal s’entend mal avec Enver, s’il a été humilié par ses rebuffades, il est en parfait accord avec le pan de l’idéologie du CUP qui aboutit à la « disparition » des Arméniens. Idéologie qui sera à l’origine même de la création kemaliste d’une République turque et qui sera alors mise en forme sous un habillage historiquement aberrant : les Turcs ne sont pas arrivés en Anatolie avec l’invasion seldjoukide du XIe siècle ; ils sont les descendants des premiers habitants de l’Anatolie, ceux de l’Empire hittite (1680-1200 avant J.-C.), bien avant, donc, les populations arménienne, assyro-chaldéenne et grecque installées en Anatolie entre un et deux millénaires avant l’arrivée des Seldjoukides.

De ce postulat contraire à toutes les évidences historiques, il découle que les Turcs ont des droits exclusifs sur l’Anatolie, les autres étant au mieux des hôtes, au pire des intrus. D’ailleurs, les premières victimes des kemalistes, lors de la reconquête de la Cilicie (sud-est anatolien) sur les Français, en 1919-20, seront les populations arméniennes, autochtones ou réfugiées du génocide : Kemal s’empresse de terminer le sale boulot commencé par Talaat.

Le projet du CUP, comme celui de Kemal, est donc de turquifier, d’épurer : logiquement, les cendres de Talaat (qu’un Arménien assassine en 1921 à Berlin ; on a envie d’écrire « exécute », d’ailleurs il fut acquitté par le tribunal allemand en raison de la responsabilité de Talaat dans le génocide) rendues à la Turquie par Hitler (il y a peu de hasards en histoire) sont déposées dans un monument de la colline de la Liberté, à Istanbul, parmi les « héros nationaux » – tandis qu’un boulevard d’Ankara porte toujours le nom de l’organisateur du génocide arménien.



La fin des chrétiens d’Anatolie


Ce crime terrifie par son ampleur : il fait entre un million et un million et demi de morts, soit entre deux tiers et trois quarts des Arméniens ottomans de 1914. Et s’il est « exemplaire », c’est qu’il n’est le résultat ni d’un hasard ni de la dureté des temps, mais bien d’une pensée politique dont l’application moins organisée et moins systématique tuera autour de cent mille chrétiens assyro-chaldéens (plus de 13 % d’une population qui devait approcher les sept cent cinquante mille en 1914) ainsi qu’un grand nombre de Grecs.

Ceux-ci sont installés depuis les temps mycéniens (vers 1450 avant notre ère) ou l’époque archaïque (VIIIe-VIIe siècles) en Thrace occidentale, sur la bordure occidentale et méridionale de l’Asie Mineure, en Cappadoce, à Byzance (devenue Constantinople puis Istanbul) qu’ils ont fondée en 667 avant notre ère, sur la côte de la mer Noire (le Pont-Euxin antique, d’où le nom de Pontiques qu’on donne aux 450 000 Grecs établis autour de Trabzon, l’ancienne Trébizonde qui fut également la dernière capitale d’un État byzantin à résister aux Ottomans après la chute de Constantinople, de 1453 à 1461).

Dès 1913, et sous prétexte de réinstallation des réfugiés musulmans des guerres balkaniques, Talaat met en œuvre une politique de déportation des Grecs afin de modifier l’équilibre démographique des régions où ils sont les plus nombreux – parfois majoritaires – et/ou qui sont jugées stratégiquement vulnérables : 154 000 Grecs sont déportés hors de Thrace en 1913-1914, puis 144 000 entre 1914 et 1918 ; 130 000 puis 88 000 sont chassés de la côte occidentale d’Asie Mineure. Certains choisissent de fuir vers les îles grecques, Athènes négocie même un premier échange de populations, mais la plupart sont jetées sur les routes de l’Anatolie intérieure où beaucoup mourront, de faim, de froid, de maladies, d’épuisement, de mauvais traitements. À quoi, il convient d’ajouter des massacres sporadiques de Grecs qui culmineront entre l’été et l’automne 1915.

Entre-temps, en 1914, les hommes grecs en âge de porter les armes (et qui n’ont pu payer une taxe libératoire) sont incorporés, non dans l’armée, par peur des désertions, mais dans des bataillons du travail, où parqués dans des camps insalubres, on meut par milliers d’épuisement (creusement de tunnels, construction de voies de chemin de fer…), de malnutrition, de mauvais traitements, de dysenterie et de typhus. Il faut lire là-dessus le chef-d’œuvre de Dido Sotiriou, Terres de sang (Hatier, 1996 pour la traduction française).

Quant aux Pontiques, leur sort s’apparente davantage à celui des Arméniens : sous l’accusation fantaisiste qu’ils auraient ravitaillé des sous-marins alliés, les Grecs du Pont sont contraints de partir, en plein hiver, sur les chemins glacés des Alpes pontiques. Comme en Arménie, les civils doivent faire leurs baluchons en 48h00, les hommes adultes sont assassinés à la sortie des villages, puis femmes, enfants, vieillards sont détroussés avant de constituer de véritables colonnes de la mort.

Et comme pour les Arméniens de Cilicie, le « travail » commencé par les unionistes est poursuivi par Kemal. Un moment occupée ou « libérée » par les Russes en 1916-17, la région de Trabzon a été administrée en bonne intelligence par les Grecs et les nouveaux maîtres, alors qu’une guérilla héroïque s’organisait dans les districts restés sous contrôle turc. Après l’armistice de Moudros (30 octobre 1918), les Grecs pontiques réclament leur autonomie – voire leur indépendance, seuls ou dans le cadre d’un État gréco-arménien. C’est alors que Kemal est nommé (mai 1919) inspecteur général de l’armée pour le nord-est de l’Anatolie. La « reprise en main » qu’il opère sera sanglante et se soldera par de nouveaux massacres, de nouvelles exactions et de nouvelles déportations meurtrières. Le bilan est éloquent : sur les 450 000 Pontiques de 1914, 257 000 ont été déportés en 1923, dont 250 000 sont morts, et 150 000 fuient la sauvagerie de la répression kemaliste vers l’Arménie et la Russie léniniste en 1922-23. Si la préméditation du génocide ne peut être prouvée, la terreur a parfaitement rempli son office ett la purification ethnique est presque parfaite.



Kemal et le salami


Bien avant la fin de la guerre, les Anglais, les Français et les Russes avaient commencé de se répartir les futures dépouilles de l’Empire (Accords Sykes-Picot du 16 mai 1916). Puis les Franco-Anglais avaient promis Smyrne à l’Italie (Accords de Saint-Jean-de-Maurienne en 1917)… et à la Grèce, quelque temps plus tard, afin de l’entraîner dans le conflit.

Celle-ci, en effet, hésite longtemps avant de rejoindre le camp de l’Entente (voir mon article « Repères chronologiques sur l’histoire de la Grèce moderne » dans le n°6/2001 de Desmos), divisée entre un roi pro-allemand et le premier ministre Vénizélos favorable aux Alliés. À la conférence de Paris, Grecs et Italiens réclament donc Smyrne, pendant que les Français s’installent difficilement en Cilicie et que les Alliés occupent Constantinople ainsi que les Détroits.

Quant au traité de Sèvres, imposé à l’Empire, il est avant tout le résultat d’une négociation entre vainqueurs. La délégation ottomane sera même un moment déclarée indésirable sur le sol français. Les crimes abominables commis par les Turcs durant le conflit justifient moralement cette position. Les Alliés décident ainsi la création d’une République arménienne, envisagent celle d’un État kurde (renvoyée à l’appréciation de la future Société des Nations), internationalisent les Détroits, attribuent la Cilicie à la France, confient le sud-ouest anatolien à l’Italie, le district de Smyrne à la Grèce (où la population devra décider si elle veut se rattacher à celle-ci, par plébiscite, cinq ans plus tard), privent de toute souveraineté financière et du droit de disposer d’une armée un Empire devenu État croupion, limité à un quadrilatère anatolien dont le seul débouché maritime se situe sur la mer Noire.

C’est l’excès de ce traité qui nourrira la réaction nationaliste. Alors que le Gouvernement ottoman se soumet, Kemal, lui, lève l’étendard de la révolte. Mais cet étendard-là n’est plus ottoman. Kemal ne cherche pas à redonner vie au vieil Empire multinational et multireligieux. Il s’agit pour lui de conquérir, à l’usage des seuls Turcs, un espace défini par le Pacte national de juillet 1919 comme l’Anatolie (y compris le villayet de Mossoul et le sandjak d’Alexandrette) et la Thrace orientale.

L’alliance avec Lénine, ébauchée dès le printemps 1920, est scellée le 16 mars 1921. C’est un coup de génie qui révèle en Kemal un stratège hors du commun : en échange du coton turc, il draine armes et argent russes ; tout en laissant à Kemal les mains libres pour liquider les communistes turcs et découper, selon la métaphore inventée un peu plus tard par le regretté Joseph Staline, la première tranche d’un salami allié qu’il ne pourrait avaler d’un coup, une tranche nommée République d’Arménie. L’offensive kemaliste est foudroyante, la passivité européenne totale, et l’Arménie est contrainte de signer, le 3 décembre 1920, un armistice qui rend à Kemal les districts que les Alliés avaient enlevés au sultan. Le lendemain, les troupes du compère Lénine répondent « à l’appel des masses arméniennes » et envahissent ce qui reste de l’Arménie indépendante – elle aura vécu à peine quatre mois. Et sa chute scelle en outre le sort des réfugiés pontiques voués désormais à devenir soviétiques… jusqu’en 1990.

La tranche de salami suivante est avalée par la négociation : en juin 1921, les Italiens évacuent le sud anatolien tout en conservant le Dodécanèse. Les troupes kemalistes peuvent désormais se concentrer contre les Français en Cilicie. Les poilus aspirent à la paix, Briand voit dans Kemal une carte à jouer contre les Anglais qui, en Syrie et en Palestine, lui causent quelques soucis, l’alliance avec Lénine l’inquiète.

Et puis Kemal commence à fasciner le Quai d’Orsay : c’est le début d’une grande méprise française (jamais vraiment dissipée) qui consiste à faire de Kemal l’enfant de 1789 (la France adore s’admirer en modèle, même si c’est dans un miroir déformant), alors que la tradition dont il s’inspire doit surtout au despotisme d’un Frédéric II ou d’une Catherine de Russie.

Les accords d’Ankara sont signés le 20 octobre 1921 : la France garde le sandjak d’Alexandrette (Kemal lui arrachera en 1938-39 au terme d’une opération menée sur le modèle de celle qu’Hitler a conduite dans les Sudètes contre la Tchécoslovaquie), mais évacue la Cilicie en échange de la reconnaissance de sa domination sur la Syrie… et en laissant massacrer au passage 25 000 Arméniens.

Restent les tranches de salami grecque et anglaise.



La victoire de Kemal


En 1919 à Paris, Vénizélos ne s’est pas contenté de réclamer Smyrne, il a tenté d’obtenir la réalisation de la « Grande Idée » : regrouper tous les Grecs dans un même État. À cause du neutralisme pro-allemand du roi Constantin, contraint à l’abdication et à l’exil par les Alliés en 1917, la Grèce a raté, en 1915, son union avec Chypre que l’Angleterre lui avait un moment proposée en échange de son entrée en guerre. Vénizélos sait qu’il est trop tard pour rattraper cette royale bévue, et que les Italiens ne sont pas disposés à rétrocéder le Dodécanèse. Mais il espère obtenir la côte de l’Asie Mineure, qui fut un des centres majeurs du rayonnement de l’hellénisme depuis l’Antiquité, Constantinople, l’ancienne capitale de l’Empire byzantin, et peut-être même un État pour les Pontiques.

On lui accorde la Thrace occidentale (bulgare depuis 1913) et orientale jusqu’aux faubourgs de Constantinople, les deux îles d’Imbros et Ténédos qui contrôlent l’entrée des Dardanelles et les Alliés autorisent les Grecs à débarquer un corps expéditionnaire à Smyrne, confiée à son administration en attendant la consultation ultérieure de la population.

L’humiliation avait été un terreau fertile pour le nationalisme jeune-turc ; l’indignation soulevée par le débarquement grec du 15 mai 1919 déclenche la réaction en chaîne qui permet à Kemal de mobiliser les énergies autour de son projet « purement » national. D’autant que le sort fait aux Grecs depuis 1914 n’incline pas les militaires hellènes à la tendresse envers les Turcs de la région qui leur est confiée.

Kemal et Enver ne s’aimaient pas, mais Kemal s’appuie sur les hommes et les structures du CUP. La différence majeure tient au contexte : il ne s’agit plus de faire rentrer de gré ou de force les minorités dans un cadre ottoman turquisé, il s’agit de « rendre » aux seuls Turcs leur espace national.

Un an après le débarquement grec, Kemal a rompu les ponts avec Istanbul. Installé à Ankara, il a attiré à lui de nombreux députés élus à l’automne 1919 qui, réunis aux délégués nationalistes, se proclament Grande Assemblée nationale le 25 avril 1920 et élisent un Conseil des ministres présidé par Kemal. Le changement de légitimité est en cours et la fatwa lancée contre les nationalistes traîtres au sultan-calife n’y changera rien. La guerre civile devenue inévitable, l’armée grecque est, sur le terrain, la seule force capable de s’opposer à Kemal. Le 21 juin 1920, le Conseil suprême de la paix donne mandat aux Grecs de sortir du district de Smyrne pour rétablir l’ordre en Anatolie.

Les succès grecs sont foudroyants. Le 10 août, le traité de Sèvres est signé. Mais les Français et les Italiens redoutent à présent que les Grecs ne tirent trop bien les marrons du feu. Ils obtiennent l’arrêt de leur offensive et, en novembre, Vénizélos est battu aux élections législatives grecques. La donne change : peu avant le scrutin, le roi Alexandre, placé sur le trône par les Alliés, est mort… des suites de la morsure d’un singe de son royal zoo. Son père, Constantin, est rappelé par un plébiscite en décembre. Les Alliés font aussitôt savoir que cette restauration mal venue est susceptible de remettre en cause leur soutien à la Grèce. Quant à l’esprit de revanche du souverain, il le conduit à remplacer partout les vénizélistes par des fidèles qui, à l’armée comme ailleurs, ne sont pas forcément ceux dont le mérite est le plus éclatant. Alors que les compétences du monarque en matière stratégique sont plutôt minces – sans rien dire de ses talents diplomatiques. Constantin illustre à merveille cet autisme mâtiné de morgue et de médiocrité intellectuelle qui a si souvent caractérisé la famille royale de Grèce.

Alors que les Anglais convoquent à Londres, pour le 21 février, une conférence de révision du traité de Sèvres où sont invités délégués du sultan et représentants de Kemal, Constantin lance une offensive. Elle manque de peu d’enlever Ankara mais est stoppée le 10 janvier, in extremis, par le général Ismet à Inonü (Premier ministre puis président de la République, Ismet choisira le nom de ce lieu symbolique, en 1934, lorsqu’une ordonnance imposera aux Turcs d’adopter un patronyme).

La conférence de Londres est un échec. Les Grecs reprennent leur offensive le 29 mars. Le 1er avril, Ismet les arrête une seconde fois au même endroit. Les troupes helléniques retraitent en pratiquant la politique de la terre brûlée, puis elles repartent de l’avant. L’Anatolie turque se mobilise tout entière derrière Kemal qui obtient les pleins pouvoirs de la Grande Assemblée nationale : une nouvelle bataille acharnée est livrée sur le fleuve Sakarya, à la fin août. Elle dure dix jours mais, malgré l’hécatombe, se termine sans véritable vainqueur.

Pourtant l’accord franco-turc sur la Cilicie, signé en octobre, permet à Kemal de concentrer ses forces contre les Grecs : toujours le salami. Isolement diplomatique, lignes de communications trop étirées, médiocrité du commandement monarchiste, manque de troupes fraîches, fatigue, désertions… Les Grecs proposent de négocier. Quoi ? Avec qui ? Les Français soutiennent presque ouvertement Kemal, les Anglais hésitent, les Turcs sont convaincus que le temps joue pour eux, que la victoire totale est à portée de main.

Une dernière maladresse de Constantin, le bombardement de Samsun par la marine hellénique alors que des bons offices alliés sont en cours, précipite le dénouement du drame. Le 26 août 1922, l’offensive turque bouscule le dispositif grec ; l’état-major du corps expéditionnaire est fait prisonnier. Les dernières semaines de la guerre voient un déchaînement inouï de violence : les Grecs détruisent tout dans leur retraite éperdue, les Turcs massacrent tous les Grecs, civils ou militaires, qui n’ont pas fui devant eux.

Le 7 septembre, les troupes helléniques finissent de rembarquer à Smyrne. Elles laissent derrière elles une population affolée de terreur à laquelle se sont ajoutés 200 000 réfugiés de l’intérieur, qui cherchent une protection dans les consulats étranger, campent sur les quais, dans des églises, des entrepôts, sur des barges, dans l’espoir de s’échapper par la mer. Les escadres française, anglaise et italienne débarquent des troupes pour protéger leurs établissements et leurs ressortissants. Mais dès que les kemalistes pénètrent en ville, il devient évident que les Grecs et la Arméniens n’auront aucun secours à attendre de ce côté-là : les soldats français assistent, par exemple, sans même faire mine d’intervenir au lynchage du métropolite de la ville. Enfin, le 13, l’incendie du quartier arménien donne le signal de la tragédie finale.

Les kemalistes accusent leurs victimes d’avoir allumé l’étincelle qui met le feu aux poudres. Dans quel but ? Alors que le CUP avait déjà dressé des plans pour la destruction de la ville chrétienne. Alors que, dans sa logique, Kemal a toutes les raisons de mettre à exécution ce projet des unionistes : détruire la Smyrne chrétienne, cette métropole tellement symbolique du cosmopolitisme et de la cohabitation harmonieuse des communautés (les Grecs y sont plus de 49 %, les Arméniens 3 %, les autres chrétiens 5 %, les Juifs 9,2 %, les Turcs et musulmans ne représentant pas plus du tiers des Smyrniotes), terroriser sa population, sous les yeux des Alliés, c’est faire la démonstration que les non-Turcs n’ont plus d’avenir – nulle part – en Anatolie. De la même manière que choisir Ankara pour capitale équivaut à condamner une Istanbul bien trop européenne pour être vraiment turque. En tout cas, l’incendie donne le signal des viols, des pillages et des massacres : la ville est livrée, pendant une longue semaine, à la toute-puissante sauvagerie de la soldatesque kemaliste… et des voisins turcs d’hier.

Bilan ? les Turcs reconnaissent aujourd’hui quelques « dérapages », comme dans la question arménienne… 2 000 victimes tout au plus. À moins que ce ne soit 100 000, ou plus ? Les Alliés ont fait le minimum pour venir en aide aux persécutés. Certains ont préféré la noyade ; à la nage, d’autres sont parvenus à trouver refuge sur des navires ancrés en rade. Mais plus d’un récit témoigne aussi que, sur certains de ces navires-là, on choisit d’écarter les indésirables à la gaffe, de les arroser d’eau bouillante pour les dissuader de grimper… ou de couper les mains qui s’agrippaient au bastingage. L’Occident ferme les yeux sur la barbarie. Kemal est désormais plus important que ses victimes.

Constantin repart en exil, on rappelle Vénizélos. Le 11 octobre 1922, l’armistice de Mudanya est signé. La Grèce évacue la Thrace orientale, Imbros et Ténédos. Mais le calvaire des Grecs de Turquie n’est pas fini.

Beaucoup d’hommes, militaires ou civils, ont été considérés comme prisonniers, soumis à des marches exténuantes, dénudés, humiliés, battus, abattus, affamés, livrés au lynchage dans les villages turcs qu’ils traversent, parqués dans des camps où ils meurent par milliers de mauvais traitements, de tortures et de maladie. Au total, c’est entre 500 000 et 600 000 Grecs qui seront morts, entre 1913 et 1923 du fait des politiques conduites par le CUP puis par Kemal – soit entre un tiers et un quart de la population grecque de l’Empire ottoman avant guerre, plus de la moitié chez les Pontiques. Sans même compter la surmortalité des réfugiés, dans les années qui suivent, due aux conditions terribles dans lesquelles ils ont dû fuir la nouvelle Turquie.

Car, après les 200 000 réfugiés ou expulsés de la guerre, ce sont 900 000 pauvres hères que les kemalistes jettent sur les routes en 1922, ne leur laissant le choix qu’entre la mort ou le départ immédiat, souvent sans rien emporter, souvent délestés de leurs derniers trésors par les soldats turcs, au long des chemins de l’exil ou sur les quais d’embarquement.

Puis le 10 janvier 1923, Grecs et Turcs concluent une convention sur l’échange obligatoire de leurs minorités : 430 000 Turcs quittent la Grèce, alors que les Grecs encore présents sur le territoire turc doivent à leur tour partir, sans aucune indemnisation bien sûr. Au total, c’est 1 250 000 réfugiés environ que la Grèce aura dû recevoir. Traumatisme majeur pour un pays de cinq millions d’habitants, cette Grande Catastrophe déstabilise l’équilibre politique, économique et social déjà fragile, durement éprouvé par dix années de guerres presque continues. L’instabilité politique des années vingt et trente, la dictature Metaxas, les divisions de la Résistance et de la guerre civile sont toutes, plus ou moins, des conséquences de ce désastre – jusqu’à la dictature des Colonels qui en est, à plus d’un titre, la dernière séquelle.

Quant au traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923 entre les Alliés et la Turquie kemaliste qui devient République turque le 29 octobre, il intègre le texte de la convention d’échange et garantit (articles 38 à 44) le statut des minorités qui en sont dispensées : 120 000 Turcs de Thrace occidentale et 300 000 Grecs d’Istanbul.

Plus ou moins respectées par la Grèce suivant les périodes et les régimes, ces garanties n’ont cependant jamais été ouvertement bafouées. Malgré un fort dynamisme démographique, le nombre des Grecs musulmans est aujourd’hui à peu près identique à ce qu’il était en 1923, ce qui signifie que cette communauté a connu une émigration continue, en partie économique vers l’Allemagne, en partie politique vers la Turquie, mais aussi que ses conditions d’existence n’ont jamais provoqué d’exode massif.

Au contraire, le statut de la minorité grecque d’Istanbul a été ouvertement violé à plusieurs reprises : durant le second conflit mondial d’abord, à une époque où la Grèce occupée était incapable de protester, lorsque des impôts discriminatoires furent imposés à la minorité ; puis lors des crises à Chypre. Ainsi, en 1955 (voir mon article dans le n° 16/2004 de Desmos/Le Lien), le Gouvernement turc a-t-il organisé de véritables pogroms qui se soldèrent par des centaines de meurtres, de viols, d’incendies, de pillages. Et si les violences furent moindres en 1963, les Grecs d’Istanbul se retrouvèrent victimes de mesures de blocage de leurs avoirs. Sans parler des tracasseries continuelles visant le patriarcat œcuménique de Constantinople, et de la fermeture du séminaire de Halki, le seul de Turquie, imposée en 1971 en violation du traité de Lausanne. Si bien que les 300 000 Grecs d’Istanbul de 1923 ne sont aujourd’hui même plus… 3 000.



Contradictions turques


On a beaucoup insisté, notamment en France, sur la rupture que représentait le kemalisme. L’homme Kemal est naturellement d’une dimension hors du commun. Par le non qu’il oppose au traité de Sèvres et par les énergies qu’il sait mobiliser pour rebâtir à partir de rien un État turc indépendant, il acquiert une dimension de héros national, incontestable (au sens propre puisque remettre en cause son infaillibilité est encore aujourd’hui puni de prison en Turquie), qui fait partie de l’univers culturel de chaque Turc. Mais à quel prix ? Par quels moyens ? Et pour quels résultats ?

À propos de Kemal, le débat est perpétuellement truqué. Par exemple, lorsque les défenseurs de la candidature turque à l’Union européenne assènent que le grand homme donna le droit de vote aux femmes en 1934, dix ans avant la France. Certes. Mais dans quel cadre ? Un système de parti unique. Est-ce parce que la première Constitution soviétique (1924), rédigée par Staline, reconnaît le droit de vote aux femmes qu’il faudrait intégrer l’ensemble de l’ex URSS ? Au vrai, le régime fondé par Mustapha Kemal est rien moins qu’une démocratie et présente plus de similitudes, dans l’organisation de l’appareil d’État, la répression de toute opposition politique, l’encadrement de la société par un parti unique et ses organisations de masse, la négation des « antagonismes de classe », le dirigisme économique, le rôle central de la propagande, le culte de la personnalité, etc., avec les dictatures des années vingt et trente qu’avec la République française.

De même Kemal est-il un héritier bien plus qu’un révolutionnaire ; il synthétise un siècle de tentatives de modernisation et tire les conséquences de leurs échecs. En écartant de ses références la seule séquence qui tenta vraiment d’acclimater les valeurs européennes. Kemal n’est pas Midhat pacha ; il ne cherche nullement à européaniser la Turquie en y enracinant la démocratie représentative ; son but, comme les sultans réformateurs, est d’introduire dans son pays ce qui a permis à l’Europe d’assurer sa suprématie sur le vieil Empire ottoman. En mettant en œuvre les mêmes moyens qu’eux, mais avec plus de détermination et de continuité : modernisation de l’administration, du droit, de la justice, de la fiscalité, de l’éducation, du costume – imposées par la contrainte. Au risque de faire percevoir la modernité comme l’agression d’une oligarchie (politique, militaire, économique) qui, seule, en tire profit.

Mais alors en quoi Kemal se distingue-t-il de ses prédécesseurs ? Essentiellement par le contexte, le moment historique dans lequel il agit. Tous ses prédécesseurs s’inscrivent dans le cadre d’un Empire multinational. Son génie est de prendre acte de la disparition de celui-ci lors même qu’il existe encore. Les inventeurs du tandzimat, Midhat pacha, Abdül-Hamid, les unionistes, se posaient la question de savoir comment faire cohabiter, de gré ou de force, les Turcs et les différents millets. Lui s’emploie, dès le début de son action politique, à « purifier » l’espace défini comme turc de toutes les populations qui ne le sont pas : par le massacre et l’expulsion, qu’il s’agisse des Arméniens « résiduels » de Cilicie, des Grecs du Pont ou d’Asie Mineure, par la négation de l’existence des Kurdes sommés, sous peine de mort, de se reconnaître comme Turcs des montagnes. Œuvre que poursuivirent ses successeurs, dès que la France eut cédé aux intimidations, en 1938-1939, dans le sandjak d’Alexandrette rebaptisé Hatay en référence à l’imaginaire filiation hittite, et turquifié aux dépens des Arméniens et des Arabes « incités » à partir ; comme d’autres Gouvernements turcs procédèrent à la purification ethnique et à la colonisation du nord de Chypre depuis 1974.

Et l’on voit bien alors où se trouve le nœud du problème dans la question de la reconnaissance du génocide arménien : même s’il a toujours affirmé le contraire, Kemal est aussi l’héritier du CUP, il achève le « nettoyage ethnique » de l’espace anatolien entamé par Talaat. Accepter, pour la République kemaliste de reconnaître et/ou condamner le génocide arménien, celui des Grecs pontiques, les violences infligées aux Assyro-Chaldéens, aux Grecs lors de la Grande Catastrophe, aux Kurdes de manière continue depuis 1923, est bien plus difficile que de procéder à telle ou telle retouche institutionnelle plus ou moins superficielle, parce que ce serait remettre en cause la manière même dont s’est créée, et dont continue à se définir, une République turque fondée historiquement, idéologiquement, ontologiquement sur et par l’élimination des minorités qui avaient autant de droits que le peuple turc de vivre sur un territoire dont elles ont été chassées par la violence et la terreur.

Pour en savoir plus

Joëlle Dallègre, Grecs et Ottomans, 1453-1923, de la chute de Constantinople à la disparition de l'Empire ottoman, L’Harmattan, 2002.

Stratis Doukas, Histoire d’un prisonnier, trad. Michel Volkovitch, Éditions du Griot, 1994.

Dido Sotiriou, Terres de sang, coll. « Confluences », trad. Jeanne Roques-Tesson, Hatier, 1996.

Yves Ternon, Empire ottoman, le déclin, la chute, l’effacement, Paris, Éditions du Félin, poche / Éditions Michel de Maule, 2005.

1 La Porte de la félicité, ou Sublime Porte, relie la résidence du sultan au centre politique et administratif du palais. C’est souvent là que le sultan, qui porte aussi le titre de Padischah, donne audience. Si bien que « la Porte » sert communément à désigner l’État ottoman.

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